Un homme de Joie
17 avril 2020
La joie inoxydable d’un SDF
Il y a 33 ans, j’ai connu Alain quand il avait 18 ans.
C’était un mec solide, travailleur. Beau gosse et amoureux, il avait un gosse. C’était sa joie.
Yann, son garçon était sa fierté. Huit jours après sa naissance, sa femme lui dit : « je pars avec le gosse ». Bouleversé, Alain met le nouveau-né à côté de lui dans son lit et armé d’un fusil, tente de se suicider.
Il se tire une balle dans la tête.
Il en ressort paralysé totalement du côté gauche.
Sa femme, part avec son gosse, il va dans le métro faire la manche pour survivre.
Il reste là pendant 33 ans, boit comme un trou et fume un paquet de cigarettes par jour.
Définitivement, son lieu de vie reste là, dans le métro.
Il vient me voir quand il le sent, c'est-à-dire à n’importe quelle heure du jour et la nuit. Il met 1 heure pour venir du métro « Riquet » à chez moi : 300 mètres de lent calvaire…
Il connaît dans le métro de multiples personnes. A chaque fois qu’il tend la main, il remercie si quelque chose tombe dedans. Si la personne ne le regarde même pas en passant, elle a droit à « salle pute, va te faire foutre », en guise de salut… amical.
La solidarité entre SDF est parfois d’une extrême violence.
Combien de fois, écrasé de fatigue et dormant quelques heures, il est fouillé et volé de ses quelques sous et tickets restaurant que je lui ai donné.
Un jour, deux abrutis le réveillent et le brutalisent. Dans son refus de donner un peu de son fric, il est frappé si violemment qu’ils lui fracturent sa seule jambe valide.
Il est opéré et 2 jours après, se barre de l’hôpital, la jambe plâtrée dans son fauteuil roulant et il repart dans le métro… A chaque fois des personnes l’aident à descendre les escaliers avec son fauteuil.
Il va de temps en temps à l’hôpital d’où il s’échappe toujours au bout de quelques jours : direction le métro !
Il y a un mois, il est hospitalisé pour un cancer dans la gorge. Là bloqué, il ne peut plus s’échapper.
Sa faiblesse est immense.
Je vais le voir pour de merveilleux moments avec lui. Le confinement arrive. Impossible de le revoir.
Il meurt, seul, le lendemain, après avoir reçu le sacrement des malades, donné avec quelle tendresse !
Alain m’a toujours fasciné par la joie qui l’habite. Même dans les pires moments, il avait les yeux rieurs avec toujours une boutade.
Il m’a souvent dit qu’il priait pour moi tous les soirs.
La dernière fois où je l’ai vu, la veille de sa mort, son regard joyeux me fascinait. Jamais une plainte.
Il n’a jamais revu son fils Yann.
Sa vie cauchemardesque m’a marqué plus que n’importe quelle vie des jeunes dont j’ai eu la charge.
Il était le cœur de mon cœur.
Sa joie dans les pires moments me rappelait l’évangile qui dit « Soyez toujours joyeux » (verset évangélique)
Jeune, je lisais ces 3 mots étonnants.
Je pensais alors que c’était impossible de les vivre.
Alain m’a apporté une réponse fulgurante à travers sa vie où sa joie était permanente, dans une trajectoire particulièrement massacrée.
Il était mystérieusement habité par celui qui est « Amour ».
Et qui est la joie de ma vie.